Un blogueur centrafricain à Dakar

Article : Un blogueur centrafricain à Dakar
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12 avril 2013

Un blogueur centrafricain à Dakar

La Corniche de Dakar par BlogueurCentro
La Corniche de Dakar par BlogueurCentro

Sur quel sujet pourrait écrire un blogueur centrafricain qui débarque à Dakar avec l’impression de l’avoir échappé belle ? Les détonations me poursuivaient jusqu’à l’entrée de l’avion qui devait m’emmener à Dakar. Bangui ma ville natale s’est tout simplement transformée en jungle. Les pillages, les braquages, les assassinats sont devenus le quotidien des pauvres Banguissois. J’avais le sentiment de fuir le far-west pour un havre de paix. Oui, Dakar est pour moi un havre de paix.

Ni ses routes, ni ses tunnels, encore moins ses immeubles qui trônent dans le ciel faisant d’elle l’une des capitales les plus modernes de l’Afrique ne retiennent mon attention autant que son calme et sa quiétude. Depuis 4 jours que je suis ici je n’ai pas entendu un seul coup de feu. Alors qu’à Bangui et dans toute la Centrafrique, l’exercice favori des éléments de la Seleka, (la coalition rebelle qui a porté au pouvoir le nouvel homme fort de Bangui, Michel Djotodja Amnon Ndroko) consiste à tirer en l’air à l’arme automatique du matin au soir, et du soir au matin.

Dakar et Bangui, c’est le jour et la nuit. Voilà plus de vingt ans déjà que mon pays fait du sur place et le changement s’est une fois de plus opéré par un coup d’état. Y’en a marre de la RCA, des coups d’état, des coups de feu, des pillages de la Seleka… Le centrafricain lambda que je suis en a marre… Y’en a marre ?!? Mais oui !!! Les Sénégalais avaient aussi dans un passé récent poussé ce cri… Pourquoi chez eux cela s’est passé plutôt bien et l’alternance a été démocratique ce qui permet aujourd’hui aux Dakarois de vivre dans cette paix que je leur convoite ?

J’ai trouvé la réponse dans cette chanson d’Ismael Lo artiste musicien Sénégalais : « Ce que tu n’as pas défendu par les armes, ne crois pas le garder avec des larmes » Bangui et Dakar, deux capitales africaines, naguère deux contextes presque similaires. Comme Maitre Abdoulaye wade le désormais ancien président du Centrafrique François Bozize avait eu la tentation de modifier la constitution pour s’éterniser au pouvoir. Tous les deux ont fini par quitter le fauteuil présidentiel. Le premier suite à une élection libre et transparente, laissant un pays émergeant qui s’affirme comme l’une des plus grandes démocraties de l’Afrique. Le second est chassé du pouvoir par les armes, contraint à l’exil, il laisse derrière lui un pays pillé, détruit.

N’y’a-t-il qu’un Sénégalais pour comprendre ce que dit un Sénégalais ?

En tout cas les armes avec lesquelles il faut défendre ce qu’on ne peut garder avec les larmes sont tout sauf les AK 47 de la Seleka. Sinon Dakar ne serait pas cette ville paradisiaque qui me fascine mais aurait été transformée en No man’s land comme Bangui d’où je viens.

Pour comprendre le combat de ces sénégalais et les armes avec lesquelles ils ont défendu les institutions de leur belle république, je suis allé à la rencontre des Dakarois…Il me fallait coûte que coûte m’imprégner de l’expérience qui a fonctionné ici et voir si on peut l’adapter chez moi. Peut-être ainsi on pourra éviter à notre pays un énième coup d’état. Il me fallait des témoins qui puissent nous raconter la chose.

Me voilà parti dans les rues de Dakar. Première destination, la Radio Télévision Sénégalaise. René un journaliste de la Radio Télévision Sénégalaise me conseillait de me rapprocher des rappeurs « à la base ce sont eux qui ont lancé le mouvement « y’en a marre. »

Bachir un jeune musicien du groupe I-Science que j’ai rencontré au centre culturel petite pierre a vu le mouvement y’en a marre grandir. Voici son témoignage : Au départ c’était les grands là Fadel, d’autres comme Gaston etc. ceux qui étaient les véritables activistes et qui étaient sur le terrain, qui mobilisaient les gens à-travers des concerts, et qui s’exposaient carrément. Et nous autres qui derrière à travers les « sons » dénoncions les choses. On avait pleins d’activités, les vendredis du slam par exemple. Puis le mouvement a prit de l’ampleur et a été suivi par la masse. Les gens ont compris qu’il fallait un changement et tout le monde s’y est mis. Chacun dans la mesure de ses possibilités et ses domaines d’activités participait au mouvement et ça a donné ce que vous savez. »

Il m’a mis l’eau à la bouche et je voulais aller plus loin. Mon carnet d’adresse se remplit de contacts. Je discute au téléphone avec Fadel le Coordonnateur de y’en a marre. J’ai le mail de Dj Awadi, les numéros de téléphone d’Ali Béta, et de Kayo activiste d’ « une saison de révolte. » C’est là que je me suis rendu compte de l’ampleur du mouvement, même les blogueurs se sont emparés de la chose me confiait Cheir Fall. Nous avons dit-il lancé Sunu 2012, alimenté des tweets citoyens, poussé les politiciens à mettre leur projets politiques sur cette plateforme en sorte que les citoyens les votent à base de leurs programmes politiques plutôt que sur la base de fanatisme.

Ils sont même arrivés à contaminer mes compatriotes, la diaspora centrafricaine de Dakar. C’est ici qu’est né un mouvement presque similaire à y’en a marre. « Touche pas à ma constitution » est un collectif d’étudiants centrafricains qui voulaient dissuader l’ancien Président Bozizé de son intention de modifier la constitution pour briguer un troisième mandat. Je suis allé les rencontrer dans le hall de la faculté de médecine de l’Université Cheick Anta Diop.

Nous nous sommes inspiré disent-ils de y’en a marre, des M23 et du printemps arabe. On s’est dit qu’il ne fallait pas rester les bras croisés et qu’on pouvait faire quelque-chose pour notre pays.

A la question de savoir s’ils ont le sentiment d’avoir échoué, ils répondent en chœur Non, le combat continue. Il faut que les nouvelles autorités de Bangui fassent tout pour qu’il y’ait très vite un retour à l’ordre constitutionnel. Nous restons vigilants pour que les choses se passent normalement, les centrafricains souffrent beaucoup, ça ne peut pas continuer comme cela. Nous lançons également un appel à la communauté internationale de ne pas sanctionner tout un peuple du fait de ses nouvelles autorités.

Je repars nostalgique de mon entretien avec le collectif « Touche pas à ma constitution » Dakar est finalement une ville très sage pour moi, presque parfaite. Je viens de Centrafrique, un pays situé en plein cœur de l’Afrique où il ne se passe pas un jour sans qu’un innocent ne meure d’une balle perdue. Où les coups d’état sont érigés en mode d’accès à la magistrature suprême de l’état. Et chaque avion qui s’envole, quelque-soit sa destination est comme une fuite de l’enfer vers le paradis.

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